Des morceaux en peinture
Denis Orhant expose du 1er avril au 2 mai 2022
Un « morceau » est un fragment d’un type particulier ; il est doté d’une sorte de matérialité gustative car morsus, c’est la morsure ; les morceaux, on les avale, au sens propre comme au figuré. Et en peinture, c’est la partie sur laquelle on se focalise pour le plaisir des yeux ; c’est le « morceau supérieurement rendu » dont parle Delacroix dans son Journal, cette valorisation localisée de brio pictural qui, pour lui, nuit à la cohésion du tableau, à l’expression de son sujet.
Les dernières peintures de Denis Orhant peuvent être vues sous l’angle des sensations disparates, ambivalentes que le mot « morceau » fait naître. On y perçoit les effets et les plaisirs d’une dextérité, celle qui permet de figurer des « choses », leur volume, leur vitalité, avec de la matière colorée. Ces « choses » sont des êtres humains, des corps alanguis ou en mouvement, des visages dont le rendu – le réalisme – fait sentir le rôle que l’image photographique, ici, tient dans l’exercice de la peinture. Ces corps et ses visages sont souvent des formes incomplètes, plaquées sur des toiles déjà peintes, des pièces rapportées qui remettent en jeu une recherche d’unité antérieure.
Le tableau constitue justement, ici, une unité paradoxale puisqu’il est une aire circonscrite animée de discordances, de faux-raccords. Des micro-scènes flottent sur des zones enduites d’un badigeon qui laisse transparaître vaguement des formes passées. Et des visages délicats et tronqués prennent place sur des corps, comme des greffes mal ajustées, comme des masques bizarrement incarnés. Le tableau est un tout, un espace de côtoiements grinçants, d’assemblages précaires et grotesques.
Pascale Borrel – Maître de conférences, Département Arts Plastiques, Université Rennes 2
Plus sur Denis Orhant : http ://www.denisorhant.com/biographie/